Lectures de voyage – MATO GROSSO de Ian Manook
Par Sabine GRATALOUP, co-fondatrice d’Absolu Voyages, Randocheval et Randocheval Mongolie
Si vous avez aimé Yeruldelgger et ses aventures dans les steppes de Mongolie, accrochez-vous car Mato Grosso marque un changement complet : de pays bien sûr (le Brésil au lieu de la Mongolie), mais surtout de style, tout en restant dans une trame de polar.
Dans Mato Grosso, un écrivain français, Jacques Haret, revient au Brésil 30 ans après un premier voyage, pour présenter son roman, inspiré de faits qu’il a vécus sur place 30 ans plus tôt.
C’est un livre exigeant, qui demande que l’on se plonge à la fois :
- dans l’intensité physique que demande l’exploration du Pantanal, écosystème tropical peuplé d’anacondas, de jacarés et autres animaux qui ne vous veulent pas que du bien…
- et dans une intensité intérieure, faite de questionnements sur le rapport à la vérité de l’écrivain confronté à ses sources d’inspiration.
Ayant justement voyagé au Pantanal l’an dernier, j’étais curieuse de voir comment Ian Manook allait décrire cette région, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne la décrit pas, il nous la fait vivre, avec toutes les émotions et les sensations que suscite cet écosystème très dense et riche, qui exacerbe tous les sens, une saturation aux antipodes du dépouillement de la steppe mongole.
Autre antipode pour Ian Manook qui sait se réinventer jusque dans son style, ne vous attendez pas à une intrigue qui vous tient en haleine comme dans la Trilogie de Yeruldelgger, mais à une valse entre :
- la réalité d’événements dramatiques qui se sont déroulés 30 ans auparavant au Brésil,
- la perception qu’en ont eue les principaux protagonistes,
- l’interprétation qu’en a faite l’écrivain – héros du livre – dans son propre roman,
- et l’impact de cette interprétation sur la réalité présente et tout aussi dramatique dans laquelle se retrouve plongé l’écrivain héros de cette histoire, 30 ans après, toujours au Brésil.
Ian Manook explore ainsi la relation de ses personnages à la vérité, et par un jeu de ricochets, il interroge la façon dont tout écrivain – et donc lui-même ? – tord et torture la réalité pour la façonner en une création nouvelle.
On se trouve bien sûr en plein Pantanal sauvage, que Ian Manook connait très bien, avec des descriptions très précises de la façon dont un environnement extrême peut impacter la psychologie humaine, mais aussi en pleine âme humaine, toute aussi sauvage, et c’est ce contraste entre l’exaspération des sensations physiques et intérieures qui m’a accrochée.
En refermant ce livre, au contraire de beaucoup de livres « exotiques », ce ne sont pas les sensations du voyage qui me sont restées en tête, mais les interrogations sur les processus d’autojustification à niveaux multiples que ce roman met en jeu dans une construction particulièrement originale et complexe.
Et l’admiration pour un écrivain qui, au contraire de nombreux auteurs qui nous resservent chaque année une version différente de la même recette (non non, je ne donnerai pas de noms…), a su en un livre changer complètement de style, avec un livre qui reste un polar, mais d’une grande profondeur et d’une belle qualité littéraire.
Mato Grosso de Ian Manook chez Albin Michel
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